Une chercheuse en psychologie américaine Lisa Feldman Barrett est à l’origine du concept de « granularité émotionnelle », il s’agit de la capacité à caractériser un état émotionnel avec précision.
De plus en plus d’études étudient ce concept, il en ressort que les sentiments désagréables précisément identifiés permettent aux gens d'être plus flexibles pour réguler les émotions et d'être moins susceptibles d’avoir des comportements problématiques comme boire trop quand ils sont tendus. Il y a fort à parier qu’il en soit de même pour tous les comportements qui nous posent problème comme manger excessivement en réaction à l’ennui, ou s’isoler lorsque nous éprouvons de l’inconfort avec notre corps.
Il semblerait que chaque fois que nous sommes en mesure de ressenti r et de mettre en mots précisément ce que nous vivons notre cerveau aide toute notre physiologie, tout notre organisme à s’adapter.
Celui qui a une grande granularité émotionnelle est capable d’utiliser un vocabulaire émotionnel riche pour décrire ce qu’il ressent et il est capable d’apporter des nuances à son ressenti, pour lui la contrariété n’est pas la même chose que la colère ou que la furie, chacun de ces mots décrient un ressenti émotionnel proche mais différent. A l’opposé celui qui a une faible granularité aura tendance à utiliser des mots plus génériques comme « je me sens mal », « ça ne va pas », « je ne me sens pas bien » et d’une manière générale la variété de son vocabulaire émotionnel est plus faible.
En tant que cliniciens nos constats vont souvent dans ce sens, nos patients les plus englués dans leur souffrance présentent beaucoup de difficulté à pouvoir nommer leurs ressentis avec précisions.
Patricia a 42 ans, elle consulte pour manger plus sainement, elle a identifié que ses émotions la poussaient à manger trop. Lorsque nous l’interrogeons sur ce qu’elle ressent avant de se nourrir sa réponse est toujours la même « je sais juste que ça ne va pas ».
Ce manque d’habilité peut être en lien avec le contexte éducatif dans lequel nous avons pu grandir. Si dans notre enfance nos parents présentaient également une granularité émotionnelle faible il se peut que nous n’ayons pas appris à nous connecter à nos ressentis.
Ce fut notamment le cas de Patricia qui a vécu dans une famille dans laquelle on ne parlait pas de ce que l’on pouvait ressentir.
« J’avais bien conscience que quand j’étais ado des fois en moi ça n’allait pas mais dans ma famille on ne ne parlait pas de ça (... ) Quand grand-mère est décédée j’avais 14 ans je voyais bien que maman était triste mais il y avait tellement de pudeur que personne à la maison n’aurait osé mettre en mot ce qu’elle pouvait bien éprouver »
L’exemple de Patricia met également en évidence l’impact délétère que peut avoir un environnement familial dans lequel il est difficile d’être validé dans son ressenti.
La difficulté à mettre en mots notre ressenti émotionnel peut aussi être post-traumatique, suite à un stress majeur (agression physique, viol, accident…) ou à une succession d’agression répétée (maltraitance pendant l’enfance) il est fréquent de se dissocier de l’expérience émotionnelle. Cette dissociation, c'est-à-dire la capacité à se couper de l’expérience, à être anesthésié émotionnellement, représentait une forme d’utilité lorsque les évènements traumatiques se déroulaient. Le problème est que cette tendance à la dissociation peut perdurer et se généraliser à toutes menaces. Dans ce cas là lorsqu’une émotion est perçue comme inconfortable, la personne se coupe totalement de son ressenti et a donc beaucoup de difficultés à nommer ce qu’elle peut émotionnellement vivre.
Jeanne a 28 ans, enfant elle a été victime à de nombreuses reprises, durant son enfance, d’agressions physiques et sexuelles, chaque fois que ces horreurs se produisaient elle se coupait totalement de l’expérience.
« C’est comme si j’étais là sans être là, spectatrice de ce qui m’arrivait. J’avais même parfois l’impression que ça ne m’était finalement pas arrivé. Ça rendait les choses supportables quelque part »
A 13 ans Jeanne tomba dans l’anorexie comme une manière d’être totalement dissociée des souffrances de son existence.
« J’avais tellement l’habitude de me couper de mon ressenti que quelque part c’était naturel pour moi. L’anorexie c’était comme couper tout ressenti, ça me permettait de ne pas souffrir, en étant coupé de mon corps je me coupais aussi des émotions en lien avec la féminisation de mon corps et la peur que ça générait chez moi ».
Jeanne a renoué avec la vie en apprenant à faire de la place à ses émotions, cela est en partie passé par la capacité à pouvoir nommer son ressenti qu’il soit agréable ou non.
« j’ai su que j’avançais dans le bon sens quand j’ai pu ressentir et mettre en mots le fait que j’étais triste et en colère quand je repensais à ce qui m’était arrivé enfant. Je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps lorsque j’ai réussi à dire « je me sens tellement triste d’avoir vécu ça », je me souviens que mon corps s’est mis à trembler… et j’ai su que maintenant j’étais capable de vivre avec ça. (…)… »
Si comme Jeanne vos difficultés à connecter vos émotions sont en lien avec des évènements de vie douloureux, traumatiques nous ne pouvons que vous inviter à consulter un psychothérapeute compétent.
D’une manière générale l’aptitude à mettre en mots nos expériences émotionnelles peut s’apprendre à tout moment de la vie, cela passe notamment sur l’apprentissage, la compréhension et l’utilisation de nouveaux mots.
Petit exercice
Régulièrement interrogez-vous sur votre ressenti émotionnel si les mots qui vous viennent sont très génériques du type « ça va », ou « je me sens mal » regardez s’il est possible pour vous d’utiliser un mot un tout petit peu plus précis.
Vous pouvez pour cela vous aider de la liste suivante présente sur le site la voie de l’écoute :
http://www.voie-de-l-ecoute.com/DOC_SAVOIR/34.pdf