Je suis tombée dans la boulimie à 13 ans, de la façon la plus banale qui soit. J'ai
fait un régime pour perdre quelques kilos, puis l'engrenage s'est enclenché. Les privations entraînent des frustrations, lesquelles engendrent des comportements compulsifs de compensation et
d'insoutenables crises de voracité. Les régimes m'ont longtemps permis de donner le change, de m'entretenir dans l'illusion d'une victoire sur mon corps: je me mettais à la diète et je
maigrissais, certes, mais je reprenais plus que les kilos perdus. Et je recommençais.
Je ne sais pas pour quelles raisons je suis devenue boulimique. Je sais, en revanche,
comment je me suis enfoncée dans la maladie: par une sorte de dégoût de mon image, en décalage avec la maigreur omniprésente dans les publicités et les magazines. Je me suis toujours trouvée
énorme, même lorsque je ne l'étais pas. Fille de mon époque, soucieuse de plaire, j'ai toujours voulu être fine et jolie, coller à l'image de la beauté que véhiculent les médias. Les magazines
féminins ont nourri ma névrose par leurs injonctions contradictoires: mangez, disent-ils, mais ne prenez pas 1 gramme! Que proposent-ils à leurs lectrices? Des rubriques minceur, suivies de
recettes de cuisine, le tout illustré par des images de femmes longilignes. Un véritable arsenal pour fabriquer des schizophrènes!
C'est dans ces journaux que j'ai trouvé des régimes draconiens, fantaisistes, contraires à
toutes les lois élémentaires de la diététique. Le plus efficace - le plus pernicieux, sûrement - fut le «régime soupe», appelé aussi «régime des cardiologues». Une lectrice disait avoir perdu 8
kilos en une semaine! Le principe, complètement fou, est de manger à volonté un aliment différent chaque jour. Je l'ai fait, dès que je grossissais trop. Pendant une semaine, la première fois,
pour perdre 8 kilos, puis deux semaines, pour en éliminer 15, etc. Je ne me suis pas alimentée normalement pendant des années.
Quand je vois les titres des articles qui paraissent dans certains magazines féminins
(«Comment perdre 4 kilos en huit jours»...), je ne peux m'empêcher de penser que les médias ont leur part de responsabilité dans le développement des troubles du comportement alimentaire chez les
jeunes filles... Bien sûr, ils ne sont pas coupables de ma boulimie. Mais ils m'ont donné un mode d'emploi détaillé pour l'entretenir. On commence à s'inquiéter de la progression de l'obésité, et
c'est une bonne chose. Ne devrait-on pas s'attaquer aux stéréotypes que nous assène la pub?
Marie-Angèle, étudiante en marketing, 28 ans
Propos recueillis par Eric Marquis
Paru dans L'Express du 29/11/2004