Voici un petit exercice sur l’image corporelle que je propose très souvent à mes
patients.
Observez cette pomme et observez les pensées que votre tête génère.
Il suffit généralement de quelques secondes pour observer des pensées sur cette simple image.
Il est impossible de ne pas avoir de pensée, quoi que nous fassions notre intelligence créée des histoires. Remarquons que la pensée « je n’ai pas de pensée sur cette pomme » est
elle-même une pensée observable, c'est-à-dire une histoire que la raconte la tête.
Il est important que mettre en évidence que nous vivons à chaque instant une double expérience :
-l’expérience
des 5 sens : je suis capable d’observer la couleur de cette pomme, sa forme…
- et en même temps une expérience mentale : les histoires que raconte ma tête autour de cette pomme
Notre tête est ainsi faite elle a un avis sur tout, elle critique, compare, juge constamment et cela de manière indépendante de notre volonté.
Chez les personnes souffrant de leur image corporelle, on observe souvent une confusion entre l’expérience sensorielle (comme se voir dans un miroir) et l’expérience mentale associée (« je
suis une grosse vache »).
Pour les personnes en souffrance avec leur apparence beaucoup d’énergie est investie pour diminuer ces pensées cela peut se traduire par plusieurs attitudes :
- l’évitement expérientiel : j’évite d’aller à la piscine pour ne pas être malaise, je décline un rencard par peut d’être rejeté, je m’isole
pour ne pas être confronté aux jugements des autres…
- la lutte : j’essaie de modifier mon apparence en espérant que les jugements cesseront
- la limitation de la vie à la lutte : au lieu d’avoir une vie qui a du sens, l’énergie est investie à contrôler.
Prenons l’exemple d’Annie. Très complexée par ses rondeurs elle enchaine les régimes dans l’espoir d’être enfin bien dans sa peau. Elle évite les sorties…et vit dans la croyance qu’elle pourra
être heureuse quand son problème de poids sera résolu. Annie espère que sa tête arrêtera de la juger lorsqu’elle sera mince. Or chaque fois qu’elle a minci sa tête ne cessait pas pour autant les
critiques « si tu remanges tu vas grossir », « tu as minci mais ta poitrine reste aussi moche »…
En fait les pensées que nous avons sur nous sont naturelles et bien souvent critiques. Certains chercheurs estiment que 2/3 des histoires que raconte notre tête sur nous sont des jugements
négatifs. Impossible d’échapper à cela. Notre tête est ainsi faite elle aime chercher des défauts, des erreurs…
Cela explique que lorsque nous mettons nu devant un miroir pour la plupart d’entre nous nous vivons une expérience désagréable, inconfortable. Cela est naturel et n’a rien de pathologique. Cela
signifie juste que la tête fait son travail.
Beaucoup de travaux sur la souffrance psychique mettent en évidence que la souffrance ne vient pas des pensées critiques mais de la volonté de vouloir les contrôler ou les éviter.
Emettons une remarque, beaucoup de mes patients m’évoquent que si nous pouvions avoir le corps parfait la tête n’aurait plus rien à dire. Or pour revenir à notre pomme, que j’ai choisie comme
étant la représentation parfaite de la beauté fruitière, au moins 70% de mes patients trouvent des défauts à cette pomme : « trop belle pour être vraie », « moi je préfère les
pommes plus naturelles », « elle doit être retouchée par photoshop », « saloperie de société de consommation qui privilégie la beauté à la qualité »…
Nous pouvons imaginer que même lorsque Brad Pitt est nu devant un miroir sa tête le critique « tu étais plus séduisant avant », « à quoi vas-tu ressembler dans 10 ans »,
« que va-t-on penser de tes cheveux longs », « tu es juste bon à obtenir des rôles de beau garçon »…
Bref en tant qu’humain nous ne pouvons pas échapper aux jugements critiques de notre tête.
La seule alternative que nous avons est d’interagir différemment avec cette expérience mentale. Cela peut passer par la prise de conscience que cet inconfort n’est pas une anomalie qu’il faut à
tout prix faire disparaitre. La prise de distance avec le langage est également intéressante ; cela consiste à observer nos pensées comme de simples pensées sans jugement. Certaines de ces
pensées jouent le rôle « d’hameçons » nous entrainant vers des comportements de lutte ou d’évitement. L’observation (ou la pleine conscience pour reprendre un terme à la mode) permet
d’identifier les hameçons ce qui donne la possibilité de n’a pas y mordre.
Prenons l’exemple de l’hameçon « une grosse vache comme toi n’a pas n’est pas digne d’amour » est souvent un hameçon auquel Annie mord et qui l’entraine vers des conduites de repli
ou de restriction calorique. Observer que cet hameçon n’est qu’un hameçon met la distance suffisante pour être dans la capacité de faire un choix (mordre ou ne pas mordre).
En gros la démarche consiste à sortir d’un rapport de lutte contre le ressenti intérieur pour avancer vers un rapport d’accueil bienveillant de l’inconfort.
En se référant au modèle de la thérapie d’acceptation et d’engagement, l’acceptation va être au service de l’engagement c'est-à-dire faire des choses importantes pour soi malgré
l’inconfort.
Revenons à Annie, pendant qu’elle investit son énergie à contrôler son inconfort la vie passe. Une vie qu’elle met entre parenthèses en espérant un jour ne plus ressentir d’inconfort.
Une vie dans laquelle elle s’interdit de voir du monde, de construire une relation intime, d’incarner réellement sa féminité, de faire les loisirs
qu’elle aimerait faire…une vraie vie quoi.
Et si Annie était la personne que vous aimiez le plus sur terre quelle regard porteriez-vous sur elle ?
Florian SAFFER - diététicien
Thérapeute ACT (acceptance and commitment therapy)
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