La prise en charge diététique des patients en surpoids consiste bien évidemment à réduire l'apport énergétique des repas et à améliorer la qualité de
l'alimentation. Mais à côté du « quoi manger », il semble intéressant de s'interroger sur le « comment manger ». Pour beaucoup de nos patients le rapport au temps est au cœur de la problématique.
Certains évoquent le manque de temps pour cuisiner, d'autres évoquent des repas bâclés du fait de journée à rallonge, d'autres encore confessent manger pour faire redescendre le stress d'une
journée trop chargée.
Le présent article a pour vocation de mettre en avant des solutions simples permettant à nos patients de normaliser leur rapport au temps afin de leur donner la
possibilité de s’alimenter dans de bonnes conditions.
Le temps du manger
Dans leur ouvrage « Manger Français, Européens et Américains face à l’alimentation » les sociologues Claude Fischler et Estelle Masson soulignent les principales
différences entre le modèle alimentaire français et le modèle anglo-saxon. Il est aujourd'hui admis que le modèle alimentaire français est protecteur contre le surpoids alors que le modèle
anglo-saxon le favorise. Rappelons que ce modèle français est caractérisé par une rythmicité des prises alimentaires (les repas sont pris à heures régulières) et par un véritable temps de repas
(les Français consacrent en moyenne 125 minutes par jour pour se nourrir soit deux fois plus de temps que les américains ou les canadiens).
Des travaux de science du comportement alimentaire vont également dans le même sens : plus le temps de repas est court plus le risque d'ingérer trop de calories est
élevé.
Selon une étude publiée dans le British Medical Journal, manger rapidement et jusqu’à être repu triple le risque de devenir un jour en surpoids.
Idéalement les repas principaux devraient dépasser les 20 minutes. En effet le rassasiement, qui correspond à la disparition progressive de la faim, est un
processus faisant intervenir différent mécanismes (hormonaux, mécaniques...) qui ne sont pas instantanés.
Ce conseil simple permet dans de beaucoup de cas de réduire l'apport énergétique des repas ce qui facilite fortement la perte de poids.
Précisons également que la texture des aliments influence fortement la durée d'un repas. Les aliments à texture molle ou liquide (brioche, pain de mie, yaourt à
boire...) sont d'ailleurs souvent sélectionnés afin de répondre dans cette logique de gain de temps. Illustrons cette notion avec l'exemple de la collation chez l'enfant. Pour beaucoup le pain,
le chocolat et le fruit d'antan ont laissé leur place à des compotes en gourde et des brioches qui peuvent être avalés en quelques secondes. Il paraît donc logique que les professionnels de santé
ne se focalisent pas uniquement sur la qualité nutritionnelle et sur la densité calorique de l'aliment. En effet, les jus de fruits et autres compotes en gourde peuvent présenter des intérêts
indéniables (densité calorique basse, vitamine C, polyphénols...) alors que leur mode de consommation est peu propice au respect des sensations alimentaires.
Les solutions proposées aux patients peuvent consister à les inviter à choisir davantage d'aliments de base demandant un effort de mastication (pain complet, fruit
frais, chocolat...).
Le temps de l'écoute
Comme beaucoup de clinicien je fais régulièrement le constat que beaucoup de patients en surpoids ont parfois de sérieuses difficultés à différencier la faim(le
besoin physiologique de manger), de la simple envie de manger. Cette discrimination impose d'être disponible afin d'être à l'écoute de son corps; en effet la faim est facilement reconnaissable
dans la mesure où elle est associée à des sensations désagréables facilement identifiables (petit creux, gargouillement...).
Des conseils invitant le patient à prendre le temps de se détendre et de s'écouter avant de manger sont parfois d'une efficacité redoutable. Ils permettent au
patient en surpoids de s'interroger sur ses motivations à manger (faim, habitude, envies...) ce qui leur permet de redonner du sens à leur comportement.
Le temps de la dégustation
Il est clairement admis que le fait de manger avec des perturbateurs (télévisions, radio...) peut entraîner une augmentation importante de la prise alimentaire (de
15 à 20%).
Le fait de porter son attention de manière soutenue sur les sensations gustatives (textures, flaveurs, aspects hédoniques...) paraît également pertinent.
Cette attitude de « pleine conscience » qui s'oppose au pilotage automatique redonne également au patient la possibilité de faire des choix (ne pas se resservir,
prendre des quantités adaptées...).
Prenons exemple de a consommation d'aliments caloriques (chocolat, pâtisseries...). Le plaisir à manger ces aliments décroît proportionnellement à la quantité
consommée. On parle d'alliesthésie négative. Apprendre à observer cette baisse de plaisir laisse la possibilité de s'arrêter de manger.
Le temps pour soi
Parmi les facteurs conduisant à surmanger le stress et les émotions désagréables sont fréquemment incriminés. Pour certains le stress est à l'origine de grignotages
répétitifs, pour d'autres ces émotions peuvent être le facteur déclenchant de véritables perte de contrôle (hyperphagie boulimique).
Parmi les facteurs nourrissant ce stress le rapport au temps est encore en cause.
Le stress « survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de
ses propres ressources pour y faire face ».
Lorsque ce déséquilibre est perçu par l'organisme, tout s'accélère: le cerveau se met à penser à vitesse grand V afin de trouver une solution, le corps se met en
mouvement, certains gestes stéréotypés se mettent en place (se ronger les ongles, se toucher les cheveux...).
Cette accélération ne solutionne souvent rien et dans beaucoup de cas aucune solution n'émerge vraiment ce qui amplifie le sentiment d'impuissance et donc le stress
perçu.
Apprendre à sortir de ce rapport au temps peut se faire par de simples mesures comme la ritualisation de petites pauses réparties sur la journée (5 minutes toutes
les 90 minutes de travail par exemple).
Je peux également observer dans ma pratique que beaucoup de femmes actives enchainent de véritables journées « marathon » : la journée de travail précède une
seconde journée dédiée aux taches ménagères ou encore aux enfants. L’instauration d’une véritable pause de 15 à 20 minutes entre ces deux journées et bien souvent suffisante pour réduire
l’impulsivité alimentaire de fin de journée.
Du temps pour se consacrer à l'essentiel
Lors d’un travail sur le rapport au temps il m’arrive fréquemment d’inviter mes patients à tenir un journal consistant à consigner par écrit leurs activités
quotidiennes et en leur décernant une appréciation (note entre 0 et 10) en fonction de leur potentiel de plaisir et de sens.
Le but de ce travail d’auto-observation est d’amener le patient à discriminer les activités méritant un véritable investissement des automatismes comportementaux
chronophages.
La réduction des activités superflues peut par exemple se traduire par une limitation de l'usage de l'ordinateur et du téléphone portable le week-end et en
soirée.
Le temps dégagé laissera la possibilité au patient d'investir ce temps pour des activités plus congruente avec ses valeurs et ses besoins (prendre le temps de
cuisiner équilibré, passer du temps en famille, faire du sport ou simplement se reposer...).
Pour conclure, la prise en charge nutritionnelle d'un patient en surpoids se résume souvent à des conseils nutritionnels sur le choix des aliments visant à réduire
l'apport calorique de la ration. Or l'expérience de terrain nous montre que dans bien des cas la surconsommation calorique n'est pas uniquement causée par un manque de connaissance mais plutôt
par un mode de vie dans lequel tout va très vite. Il paraît donc pertinent d'apprendre à nos patients à se donner la possibilité de ralentir afin d'observer leurs besoins et ceci dans le but de
faire des choix bon pour eux.
Il semble également important que ces conseils ne soient pas imposés comme une énième injonction (« il faut prendre le temps de souffler ») mais présenter comme une
possibilité, une alternative.
Selon moi, la diététique ne devrait pas être une science « qui impose des règles » mais une science humaine permettant à chacun d’avancer vers une alimentation
allant dans le sens du bien-être physique, social et psychologique, et tout cela avec douceur, respect et bienveillance. Gardons toujours à l’esprit que le mot « diététique » vient du grec «
diaita » qui signifie art de vivre.
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